Pour sa part, le message du FFKM à l’occasion de la Pentecôte, le 9 mai dernier, a mis « le coût de la vie » au nombre des problèmes majeurs que connaît la population : « La majorité souffre de la vie chère devenue insupportable ; le pouvoir d’achat ne correspond pas à une rémunération du travail nettement insuffisante ». Conscient
de ces difficultés, le SeFaFi (Observatoire de la vie publique) voudrait,
par ce communiqué, aider à mieux les faire connaître et suggérer des
pistes d’action permettant de les surmonter. L’évolution
macro-économique de ces dernières années Même si l'inflation est un phénomène planétaire, la récente hausse des prix est durement ressentie par la population, surtout celle des produits alimentaires qui se sont accrus de 52% entre 2007 et 2008. Plus largement, les taux de croissance et d’inflation ont été les suivant ces dix dernières années : Croissance
et inflation à Madagascar de 1997 à 2007
Source
: INSTAT Le
taux d'inflation est un révélateur de l'évolution économique d'un
pays, et la maîtrise de l'inflation est l'objectif primordial assigné au
Fonds Monétaire International (FMI). Pour mesurer le taux d'inflation, on
calcule le coût du « panier de la ménagère » - censé représenter
les habitudes de consommation des ménages. Dans ce « panier »,
la part respective des biens et services est la suivante : Pourcentage
des biens et services dans le panier de la ménagère
Source : INSTAT On
remarquera que l’alimentation absorbe en moyenne la moitié des revenus,
ce qui est un signe de pauvreté. En effet, plus les revenus s’élèvent,
et plus la part relative de l’alimentation diminue : dans les pays
riches, elle ne représente plus guère que 15% des revenus. Le
pourcentage relativement important réservé au logement prouve ensuite
que l’habitat est cher, le logement représentant la deuxième priorité
après la nourriture. Suivent, beaucoup moins importants mais presque à
égalité, la part des transports et de l’habillement. Rien d’étonnant,
dans ces conditions, à ce qu’il reste peu de ressources pour se soigner
en cas de maladie, ou pour payer l’éducation des enfants. Il n’en est
que plus surprenant de trouver un si gros budget de loisirs : si
l’on y ajoute le poste « hôtels, cafés et restaurants »,
l’ensemble (5,24%) est supérieur aux budgets de la santé et de l’éducation
réunis (5,11%). Les trois-quarts des habitants n’ayant guère de
surplus monétaires, faut-il en conclure que les plus riches dépensent énormément
en loisirs, ou que l’échantillonnage est plus représentatif de la
capitale que de l’ensemble du pays ? Définie
comme une hausse du niveau général des prix, l'inflation procède de
deux mécanismes : une augmentation des coûts salariaux (inflation
par les coûts) et/ou un excès de la demande sur l'offre des biens et
services (inflation par la demande). La première est caractéristique des
pays industrialisés, la seconde est plus fréquente dans les pays en développement
où la production de biens et services ne suit ni le rythme de la
croissance démographique ni l'évolution des habitudes de consommation
(qui s’alignent sur celle des pays occidentaux). Dans tous les cas,
l'inflation n’apparaît que lorsque le système bancaire met à la
disposition des usagers des moyens de paiement qui dépassent en montant
la valeur des biens et services disponibles dans le pays. Cette inflation
par la demande survient à l'occasion des déficits budgétaires
importants, de sorte que la hausse du coût de la vie est surtout le fait
d’un État prodigue et tout à la fois incapable de collecter les
ressources nécessaires pour couvrir ses dépenses. Le
pouvoir d’achat, des chiffres aux personnes A
Madagascar, les produits alimentaires, les boissons et le tabac pèsent
pour un peu plus de la moitié des besoins de consommation. Aussi, toute
évolution du prix du riz, base de notre alimentation, a un impact considérable
sur l'indice des prix à la consommation. Celui-ci a tendance à baisser
pendant les périodes de moisson, et à monter pendant les périodes de
soudure (maitso ahitra). L'augmentation du prix des hydrocarbures, en
accroissant le coût des transports, accroît encore les tensions
inflationnistes. L’importation de riz, environ 200.000 tonnes par an,
est la solution traditionnelle pour pallier l’insuffisance de la
production. Mais depuis quelques mois, la forte augmentation des prix de
l'alimentation, couplée à celle du pétrole, s'est transformée en crise
mondiale aux conséquences graves. C’est effectivement en suivant les changements du prix du riz que l’on pourra comprendre les problèmes du coût de la vie et du pouvoir d’achat. Pour cela, il convient de mettre en parallèle les évolutions respectives du prix du riz et du salaire horaire. Les chiffres donnent alors un éclairage saisissant : Evolution
du salaire minimum horaire et du prix du riz (1963-2008)
Ce
tableau montre que pour se procurer un kilo de riz, il fallait travailler
une heure et plus (selon les 4 zones alors en vigueur) en 1963, moins
d’une heure en 1981 (2 zones, jusqu’à aujourd’hui), un peu plus de
deux heures en 2001, et un peu moins de trois heures en 2008. En
d’autres termes, le pouvoir d’achat a approximativement été amputé
des deux tiers en quarante cinq ans. Une
famille moyenne compte entre 4 et 6 enfants. Il est facile d’imaginer ce
qui lui reste, une fois payé le riz quotidien, pour les autres dépenses.
Et chacun sait combien ont augmenté, ces derniers temps, le charbon de
bois, l’huile, le beurre, les œufs, la viande de bœuf et de porc, sans
parler des loyers et des transports... Ajoutons que rares sont les
familles disposant d’un salaire mensuel minimum, puisque seuls les
salariés en bénéficient. Or ceux-ci représentent de l’ordre de 10%
de la population active : environ 150.000 fonctionnaires et 600.000
salariés du secteur privé, soit un total de 750.000 pour quelque
7.500.000 personnes en âge de travailler. Les autres, faut-il le
rappeler, vivent de l’autosubsistance dans les campagnes et du secteur
informel en ville, et leurs revenus sont généralement inférieurs au
salaire minimum légal. En
tout état de cause, dans l’hypothèse où un salarié subvient aux
besoins de 5 personnes en moyenne, les augmentations de salaires
concernent moins de 4 millions de personnes sur une population totale évaluée
à 18 millions d’habitants. C’est
dire que, au-delà des statistiques toujours contestables et de promesses
rarement tenues, c’est le dénuement concret des personnes qu’il
convient de comprendre lorsqu’on parle de la hausse du coût de la vie. Que faire ?
La complexité de ces problèmes ne
permet ni réponse facile ni solution rapide. Le SeFaFi estime devoir relever quelques faits de ces dernières
semaines à titre de pistes de réflexion. Un rapport du FMI constate que des mesures ont été prises pour atténuer l’effet de la hausse des prix des produits pétroliers et alimentaires sur la population : exonérations temporaires de TVA sur le riz à partir du 1er juillet 2008 ; exonération de TVA sur les carburants ; subventions au transport urbain et aux cantines scolaires des quartiers les plus démunis. Le manque à gagner qui en résulte pour l’Etat est, d’après le rapport, comblé par une augmentation des recettes fiscales et douanières engendrée par la réforme des administrations concernées. Ainsi à fin août, les recettes douanières ont dépassé les objectifs fixés dans la loi de finances 2008. Au
cours de l’émission « Savaravina » à la Radio Nationale le
7 septembre 2008, le Ministre de l’Economie, de l’Industrie et du
Commerce, Ivohasina Razafimahefa, a cité un rapport de la BAD et du FMI
selon lequel Madagascar se situe en 6ème position sur 48 pays
africains en matière de prix les moins chers. Et de fait, en raison des
actions menées par le Gouvernement et la Plateforme de concertation sur
le riz, Madagascar n’a pas (pas encore ?) subi la flambée des prix
des denrées alimentaires. Il reste que d’après une estimation de la
Banque Centrale le pays connaît cette année une inflation à deux
chiffres, et cette inflation galopante mine
le pouvoir d’achat des Malgaches. Et le Ministre d’en appeler
au calme, afin que l’image de Madagascar ne soit pas entachée par des
troubles qui, eux, engendreraient une hausse des prix à l’importation.
Car on sait que le pays est encore très tributaire des importations. L’augmentation
de la facture céréalière pourrait être transformée en opportunité si
elle aide le pays à comprendre que nous devons nous attacher à augmenter
la production locale et nous ouvrir enfin aux innovations qui, sous
d’autres cieux, ont permis le développement rural. C’est dire que la
situation est grave mais non pas désespérée et que des actions peuvent
être menées. Encore faut-il vouloir définir une politique cohérente en
faveur de l’amélioration des conditions de vie de la population. On
l’a vu, la croissance permet l’augmentation de la richesse globale du
pays, mais ne suffit pas à garantir l’amélioration du niveau de vie de
ses habitants. Le phénomène est connu des économistes, qui parlent
alors de « croissance sans développement ». Ces
questions relèvent d’un choix de politique économique. Madagascar est
réputé pour sa docilité à l’égard de l’idéologie libérale qui
anime la mondialisation actuelle. Celle-ci se propose d’éliminer toutes
les barrières pour que les échanges puissent se faire partout, pour tous
les produits – sauf ceux que se réservent les pays riches, ceux de
l’agriculture en particulier. Cette stratégie a eu pour effet, à ce
jour, de maintenir les pays les plus pauvres (Afrique et Madagascar) dans
leur pauvreté, de permettre à l’Asie et à l’Amérique latine de
progresser, et aux pays riches de s’enrichir plus encore. La conséquence
pour la Grande Île est que la compétitivité de son économie (c’est-à-dire,
pour l’essentiel, de ses exportations) dépend des seuls salaires :
plus ils sont bas, et plus le pays pourra exporter - pour importer ensuite les produits bon marché fabriqués par les
autres. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu d’attendre des
augmentations salariales ou des améliorations du niveau de vie. Il n’y
aura pas non plus de marché intérieur, les produits locaux ayant peu de
débouchés et n’étant donc pas assez compétitifs ! Ce
débat mériterait d’autres réflexions, qui débordent le sujet de ce
communiqué. D’autres suggestions, par contre, pourraient aider à faire
progresser le niveau de vie. Nous n’en retiendrons que deux, venant
d’un économiste bon connaisseur de Madagascar, et qu’il formule
ainsi, d’abord en faveur de la hausse du pouvoir d’achat des salariés :
« La nécessité de maîtriser
l’évolution des prix, de contenir l’inflation ne permet pas une
hausse brutale des rémunérations. Mais cet impératif n’est pas
incompatible avec une augmentation progressive, calculée en valeur réelle
sur la base de l’année précédente, qui pourrait être chaque année
de l’ordre de 10%. Le niveau de vie de la population concernée s’en
trouverait augmenté de 160% en l’espace de 10 ans »[1].
Pour
le monde agricole, il propose un dispositif spécifique, qui concerne les
prix aux producteurs : « Analogue
à celui concernant la hausse progressive du pouvoir d’achat des salariés,
il [ce nouveau dispositif] serait conclu pour une première période de
dix années. Les hausses [du prix du riz] pourraient être de l’ordre de
5% sur le dernier prix, aussi bien à l’achat qu producteur qu’à la
vente au consommateur »[2].
Il n’est pas de solution miracle à
un problème qui est humain autant que politique. Mais la souffrance
grandissante de millions de personnes ne peut être ignorée au nom de
considérations économiques ou d’impératifs techniques. En tant
qu’association de la société civile, le SeFaFi se doit de tirer la
sonnette d’alarme, de solliciter et de suggérer des pistes pour la réflexion
et l’action. Les responsables successifs ont suivi les pensées
dominantes de leur temps, toujours inspirées d’idéologie :
social-démocrate puis tiers-mondiste d’abord, libérale puis ultra-libérale
ensuite. Qu’aucun d’eux n’ait trouvé la parade à
l’appauvrissement continu de tout un peuple, montre à l’évidence
qu’il faut sortir des sentiers battus. Autant et plus que
l’innovation, c’est sans doute l’implication de la population qui
est en jeu. Elle ne se limite pas au rituel électoral que nous
connaissons ; elle suppose une liberté de pensée et d’expression
sans laquelle aucun développement ne pourra se faire. Et sans développement,
le coût de la vie ne cesse d’augmenter. Antananarivo, 12 septembre 2008 |