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SEHATRA FANARAHA-MASO NY FIAINAM-PIRENENA

SeFaFi

Observatoire de la Vie Publique

Rue Rajakoba Augustin Ankadivato Antananarivo

Tél. : 22 663 99 Fax : 22 663 59 Email : sefafi@netclub.mg

LA HAUSSE DU COÛT DE LA VIE             

Les gouvernants se vantent volontiers du taux de croissance de l’économie, mais la population est davantage sensible à l'évolution du coût de la vie. Depuis 1997, Madagascar affiche des taux de croissance économique supérieurs aux taux de croissance démographique, à l'exception notable de l'année 2002. Mais ces performances, qui indiquent que la richesse nationale a augmenté plus vite que le nombre de bouches à nourrir, n’ont guère fait diminuer la pauvreté de la grande majorité des Malgaches. Par contre, chacun se soucie du coût de la vie qui, pendant la même période, a augmenté plus vite que les salaires nominaux.  

C’est ainsi que, lors de la célébration de la « Journée Mondiale de l’Alimentation » (JMA), le 16 octobre 2007, un haut responsable de l’Office National de Nutrition a rappelé à Fort Dauphin que « 63% de la population malgache sont victimes de l’insécurité alimentaire et 48% des enfants de moins de 5 ans sont malnutris ». 

Pour sa part, le message du FFKM à l’occasion de la Pentecôte, le 9 mai dernier, a mis « le coût de la vie » au nombre des problèmes majeurs que connaît la population : « La majorité souffre de la vie chère devenue insupportable ; le pouvoir d’achat ne correspond pas à une rémunération du travail nettement insuffisante ». 

Conscient de ces difficultés, le SeFaFi (Observatoire de la vie publique) voudrait, par ce communiqué, aider à mieux les faire connaître et suggérer des pistes d’action permettant de les surmonter. 

L’évolution macro-économique de ces dernières années 

Même si l'inflation est un phénomène planétaire, la récente hausse des prix est durement ressentie par la population, surtout celle des produits alimentaires qui se sont accrus de 52% entre 2007 et 2008. Plus largement, les taux de croissance et d’inflation ont été les suivant ces dix dernières années : 

Croissance et inflation à Madagascar de 1997 à 2007

 

Années

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

Taux de croissance

3,7

3,9

4,7

4,8

6,0

-12,7

9,3

5,3

4,6

5,0

6,2

Taux

d’inflation

7,3

8,5

9,7

9,8

7,3

15,4

16,0

9,6

11,5

10,6

8,2

Source : INSTAT

Le taux d'inflation est un révélateur de l'évolution économique d'un pays, et la maîtrise de l'inflation est l'objectif primordial assigné au Fonds Monétaire International (FMI). Pour mesurer le taux d'inflation, on calcule le coût du « panier de la ménagère » - censé représenter les habitudes de consommation des ménages. Dans ce « panier », la part respective des biens et services est la suivante :

 

Pourcentage des biens et services dans le panier de la ménagère

 

Catégories de biens et services

% des dépenses totales

-    Produits alimentaires, boissons et tabac

-    Logement et combustible

-    Transport

-    Tissus et vêtements

-    Ameublement, équipement ménager, entretien

-    Loisirs, spectacles et culture

-   Santé

-    Enseignement

-    Hôtels, cafés, restaurants

-    Autres biens et services

50, 58

18, 04

7, 91

6, 85

4, 54

3, 67

2, 60

2, 51

1, 57

1, 73

    Source : INSTAT

On remarquera que l’alimentation absorbe en moyenne la moitié des revenus, ce qui est un signe de pauvreté. En effet, plus les revenus s’élèvent, et plus la part relative de l’alimentation diminue : dans les pays riches, elle ne représente plus guère que 15% des revenus. Le pourcentage relativement important réservé au logement prouve ensuite que l’habitat est cher, le logement représentant la deuxième priorité après la nourriture. Suivent, beaucoup moins importants mais presque à égalité, la part des transports et de l’habillement. Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce qu’il reste peu de ressources pour se soigner en cas de maladie, ou pour payer l’éducation des enfants. Il n’en est que plus surprenant de trouver un si gros budget de loisirs : si l’on y ajoute le poste « hôtels, cafés et restaurants », l’ensemble (5,24%) est supérieur aux budgets de la santé et de l’éducation réunis (5,11%). Les trois-quarts des habitants n’ayant guère de surplus monétaires, faut-il en conclure que les plus riches dépensent énormément en loisirs, ou que l’échantillonnage est plus représentatif de la capitale que de l’ensemble du pays ? 

Définie comme une hausse du niveau général des prix, l'inflation procède de deux mécanismes : une augmentation des coûts salariaux (inflation par les coûts) et/ou un excès de la demande sur l'offre des biens et services (inflation par la demande). La première est caractéristique des pays industrialisés, la seconde est plus fréquente dans les pays en développement où la production de biens et services ne suit ni le rythme de la croissance démographique ni l'évolution des habitudes de consommation (qui s’alignent sur celle des pays occidentaux). Dans tous les cas, l'inflation n’apparaît que lorsque le système bancaire met à la disposition des usagers des moyens de paiement qui dépassent en montant la valeur des biens et services disponibles dans le pays. Cette inflation par la demande survient à l'occasion des déficits budgétaires importants, de sorte que la hausse du coût de la vie est surtout le fait d’un État prodigue et tout à la fois incapable de collecter les ressources nécessaires pour couvrir ses dépenses.

 

Le pouvoir d’achat, des chiffres aux personnes

 A Madagascar, les produits alimentaires, les boissons et le tabac pèsent pour un peu plus de la moitié des besoins de consommation. Aussi, toute évolution du prix du riz, base de notre alimentation, a un impact considérable sur l'indice des prix à la consommation. Celui-ci a tendance à baisser pendant les périodes de moisson, et à monter pendant les périodes de soudure (maitso ahitra). L'augmentation du prix des hydrocarbures, en accroissant le coût des transports, accroît encore les tensions inflationnistes. L’importation de riz, environ 200.000 tonnes par an, est la solution traditionnelle pour pallier l’insuffisance de la production. Mais depuis quelques mois, la forte augmentation des prix de l'alimentation, couplée à celle du pétrole, s'est transformée en crise mondiale aux conséquences graves.

  C’est effectivement en suivant les changements du prix du riz que l’on pourra comprendre les problèmes du coût de la vie et du pouvoir d’achat. Pour cela, il convient de mettre en parallèle les évolutions respectives du prix du riz et du salaire horaire. Les chiffres donnent alors un éclairage saisissant : 

Evolution du salaire minimum horaire et du prix du riz (1963-2008)

 

 

1963

1981

2001

2008

Salaire horaire minimum (Fmg)

de 16 à 29

66,30

1.137

1.825  (365 Ar)

Riz ordinaire, prix au détail (id.)

29

75

2.500

5.000 (1.000 Ar)

 

Ce tableau montre que pour se procurer un kilo de riz, il fallait travailler une heure et plus (selon les 4 zones alors en vigueur) en 1963, moins d’une heure en 1981 (2 zones, jusqu’à aujourd’hui), un peu plus de deux heures en 2001, et un peu moins de trois heures en 2008. En d’autres termes, le pouvoir d’achat a approximativement été amputé des deux tiers en quarante cinq ans.

 

Une famille moyenne compte entre 4 et 6 enfants. Il est facile d’imaginer ce qui lui reste, une fois payé le riz quotidien, pour les autres dépenses. Et chacun sait combien ont augmenté, ces derniers temps, le charbon de bois, l’huile, le beurre, les œufs, la viande de bœuf et de porc, sans parler des loyers et des transports... Ajoutons que rares sont les familles disposant d’un salaire mensuel minimum, puisque seuls les salariés en bénéficient. Or ceux-ci représentent de l’ordre de 10% de la population active : environ 150.000 fonctionnaires et 600.000 salariés du secteur privé, soit un total de 750.000 pour quelque 7.500.000 personnes en âge de travailler. Les autres, faut-il le rappeler, vivent de l’autosubsistance dans les campagnes et du secteur informel en ville, et leurs revenus sont généralement inférieurs au salaire minimum légal. En tout état de cause, dans l’hypothèse où un salarié subvient aux besoins de 5 personnes en moyenne, les augmentations de salaires concernent moins de 4 millions de personnes sur une population totale évaluée à 18 millions d’habitants.

 

C’est dire que, au-delà des statistiques toujours contestables et de promesses rarement tenues, c’est le dénuement concret des personnes qu’il convient de comprendre lorsqu’on parle de la hausse du coût de la vie.

Que faire ? 

         La complexité de ces problèmes ne permet ni réponse facile ni solution rapide. Le SeFaFi estime devoir relever quelques faits de ces dernières semaines à titre de pistes de réflexion.

         Un rapport du FMI constate que des mesures ont été prises pour atténuer l’effet de la hausse des prix des produits pétroliers et alimentaires sur la population : exonérations temporaires de TVA sur le riz à partir du 1er juillet 2008 ; exonération de TVA sur les carburants ; subventions au transport urbain et aux cantines scolaires des quartiers les plus démunis. Le manque à gagner qui en résulte pour l’Etat est, d’après le rapport, comblé par une augmentation des recettes fiscales et douanières engendrée par la réforme des administrations concernées. Ainsi à fin août, les recettes douanières ont dépassé les objectifs fixés dans la loi de finances 2008. 

Au cours de l’émission « Savaravina » à la Radio Nationale le 7 septembre 2008, le Ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Commerce, Ivohasina Razafimahefa, a cité un rapport de la BAD et du FMI selon lequel Madagascar se situe en 6ème position sur 48 pays africains en matière de prix les moins chers. Et de fait, en raison des actions menées par le Gouvernement et la Plateforme de concertation sur le riz, Madagascar n’a pas (pas encore ?) subi la flambée des prix des denrées alimentaires. Il reste que d’après une estimation de la Banque Centrale le pays connaît cette année une inflation à deux chiffres, et cette inflation galopante mine  le pouvoir d’achat des Malgaches. Et le Ministre d’en appeler au calme, afin que l’image de Madagascar ne soit pas entachée par des troubles qui, eux, engendreraient une hausse des prix à l’importation. Car on sait que le pays est encore très tributaire des importations. 

L’augmentation de la facture céréalière pourrait être transformée en opportunité si elle aide le pays à comprendre que nous devons nous attacher à augmenter la production locale et nous ouvrir enfin aux innovations qui, sous d’autres cieux, ont permis le développement rural. C’est dire que la situation est grave mais non pas désespérée et que des actions peuvent être menées. Encore faut-il vouloir définir une politique cohérente en faveur de l’amélioration des conditions de vie de la population. 

On l’a vu, la croissance permet l’augmentation de la richesse globale du pays, mais ne suffit pas à garantir l’amélioration du niveau de vie de ses habitants. Le phénomène est connu des économistes, qui parlent alors de « croissance sans développement ».

Ces questions relèvent d’un choix de politique économique. Madagascar est réputé pour sa docilité à l’égard de l’idéologie libérale qui anime la mondialisation actuelle. Celle-ci se propose d’éliminer toutes les barrières pour que les échanges puissent se faire partout, pour tous les produits – sauf ceux que se réservent les pays riches, ceux de l’agriculture en particulier. Cette stratégie a eu pour effet, à ce jour, de maintenir les pays les plus pauvres (Afrique et Madagascar) dans leur pauvreté, de permettre à l’Asie et à l’Amérique latine de progresser, et aux pays riches de s’enrichir plus encore. La conséquence pour la Grande Île est que la compétitivité de son économie (c’est-à-dire, pour l’essentiel, de ses exportations) dépend des seuls salaires : plus ils sont bas, et plus le pays pourra exporter - pour  importer ensuite les produits bon marché fabriqués par les autres. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu d’attendre des augmentations salariales ou des améliorations du niveau de vie. Il n’y aura pas non plus de marché intérieur, les produits locaux ayant peu de débouchés et n’étant donc pas assez compétitifs !  

Ce débat mériterait d’autres réflexions, qui débordent le sujet de ce communiqué. D’autres suggestions, par contre, pourraient aider à faire progresser le niveau de vie. Nous n’en retiendrons que deux, venant d’un économiste bon connaisseur de Madagascar, et qu’il formule ainsi, d’abord en faveur de la hausse du pouvoir d’achat des salariés : « La nécessité de maîtriser l’évolution des prix, de contenir l’inflation ne permet pas une hausse brutale des rémunérations. Mais cet impératif n’est pas incompatible avec une augmentation progressive, calculée en valeur réelle sur la base de l’année précédente, qui pourrait être chaque année de l’ordre de 10%. Le niveau de vie de la population concernée s’en trouverait augmenté de 160% en l’espace de 10 ans »[1].   

Pour le monde agricole, il propose un dispositif spécifique, qui concerne les prix aux producteurs : « Analogue à celui concernant la hausse progressive du pouvoir d’achat des salariés, il [ce nouveau dispositif] serait conclu pour une première période de dix années. Les hausses [du prix du riz] pourraient être de l’ordre de 5% sur le dernier prix, aussi bien à l’achat qu producteur qu’à la vente au consommateur »[2].

         Il n’est pas de solution miracle à un problème qui est humain autant que politique. Mais la souffrance grandissante de millions de personnes ne peut être ignorée au nom de considérations économiques ou d’impératifs techniques. En tant qu’association de la société civile, le SeFaFi se doit de tirer la sonnette d’alarme, de solliciter et de suggérer des pistes pour la réflexion et l’action. Les responsables successifs ont suivi les pensées dominantes de leur temps, toujours inspirées d’idéologie : social-démocrate puis tiers-mondiste d’abord, libérale puis ultra-libérale ensuite. Qu’aucun d’eux n’ait trouvé la parade à l’appauvrissement continu de tout un peuple, montre à l’évidence qu’il faut sortir des sentiers battus. Autant et plus que l’innovation, c’est sans doute l’implication de la population qui est en jeu. Elle ne se limite pas au rituel électoral que nous connaissons ; elle suppose une liberté de pensée et d’expression sans laquelle aucun développement ne pourra se faire. Et sans développement, le coût de la vie ne cesse d’augmenter. 

Antananarivo, 12 septembre 2008

[1] Geral Ayer, L’avenir de Madagascar. Idées-forces pour un vrai changement, Foi et Justice, 2001, p. 39.

[2] Ibidem, p. 69

 

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