Antananarivo, capitale du théâtre indianocéanique

Clicanoo.com  29/05/2005

CULTURE : Antananarivo, capitale du théâtre indianocéanique 
C’est dans la capitale malgache que s’est tenu le deuxième chantier formation intitulé “L’improbable vérité du monde” mis en place par le Centre dramatique de l’océan Indien (CDOI) du 2 au 21 mai derniers. Dix-neuf comédiens de Madagascar, la Réunion, Maurice, Mayotte, Mozambique et de Suisse ont participé à cette extraordinaire aventure indocéanique initiée par Ahmed Madani et qui s’est terminée en apothéose avec la présentation “Des mondes et des mots” à l’ancienne gare d’Antananarivo. Récit du périple.
Jeudi 19 mai à 21 h 30, à l’aéroport d’Ivato à Tananarive. La température de 15°C rappelle que l’on se situe à plus de 1000 m d’altitude. Avant de déposer les valises à l’hôtel, petit détour à l’ancienne gare de Soarano. C’est à l’intérieur de ce lieu historique que les dix-neuf comédiens malgaches, réunionnais, métropolitains, mozambicains, comoriens, mahorais et suisse ont trouvé refuge du 2 au 21 mai derniers. Ils ont transformé le hall de l’ancienne gare en un véritable lieu de spectacle avec un gradin surplombant la scène constituée de simples... planches, dans la pure tradition théâtrale. Vers minuit, soit à moins de 24 h avant la présentation publique, comédiens, techniciens, musiciens sont encore en pleines répétitions sous la direction de Ahmed Madani, plus intransigeant que jamais. La fatigue se lit sur les visages mais il faut suivre le rythme du “forçat du travail” comme le directeur du CDOI se définit.
Dures réalités
Vendredi 20 mai, visite de la capitale malgache. Pour ceux qui découvrent Antananarivo pour la première fois, le choc est inévitable. Il y a de quoi réveiller tout relent humanitaire qui sommeille au fond de soi. Mais derrière les dures réalités qui éclatent au visage de chaque Vazaha (étranger) 

 habitué au confort, au luxe et aux “normes européennes”, se cache une force culturelle aux valeurs inestimables. Les membres de l’association Gara, partenaires du CDOI dans le projet de chantier formation ont tenu à les faire découvrir à travers la visite du palais d’Ambohimanga et des montagnes de l’Imerina, hauts lieux de la civilisation malgache sans oublier la dernière demeure du poète Jean-Joseph Rabearivelo. Le poète, auteur et homme de culture Élie Rajaonarison poursuit la visite sur les traces des anciens et du génie architectural traditionnel malgache.
Rôle de moteur
Au programme, de grands ouvrages comme les tamboho (murailles entourant les villages) ou encore du rova d’Ambohimanga (palais du roi Andrianampoinimerina) où l’on utilisait du blanc d’œuf en guise de ciment lors de l’édification des façades principales. Visite aussi du village de Lazaina où les stagiaires du chantier formation ont présenté un “impromptu théâtral en monde rural”, deux jours plus tôt. Cette journée déjà bien chargée d’images et d’émotions est loin de s’achever. La présentation publique du fruit des 20 jours de stages du chantier formation à la gare est programmée dans la soirée. “Un pur instant de rêve éveillé”. Le samedi 21 mai était tout aussi intense, un tour au marché artisanal, puis spectacle de hira gasy et visite chez Dieudonné, artiste plasticien qui était en séjour à la Réunion récemment. Dans l’après-midi, l’heure du bilan a sonné. Le directeur du CDOI a tout d’abord insisté sur le “rôle de moteur, de relais et d’accompagnateur que tient le CDOI à travers plusieurs projets de formation tendant à créer une dynamique transfrontalière pour les artistes de la zone. Il est aussi question de développer au sein de l’océan Indien et l’Europe leurs propres réseaux de connivences artistique et de partenariats”.
Un signe de vie
Ahmed Madani “impliqué personnellement dans ce projet”, a par ailleurs indiqué que “le CDOI envisage pour les quatre prochaines années d’être un centre de ressource et une plate-forme d’échanges pour les artistes du Sud et du Nord dans un souci de transmission plus que de formation afin de révéler en chacun ses qualités et ses richesses”. Pour le tandem Élie Rajaonarison/ Christiane Botbol, chef du projet franco-malgache “Art Mada”, l’initiative d’organiser le chantier N°2 à Madagascar arrivait à point nommé, car les autorités malgaches, plus particulièrement le ministère de la Culture et du Tourisme, sont actuellement en phase de relance de l’activité théâtrale dans la Grande Île. “Ce chantier constitue un début, un signe de vie et de vitalité” se réjouissaient les intervenants. À rappeler que le laboratoire de recherche initié par le CDOI a été amorcé l’année dernière. Il se décompose en 3 chantiers formations dont le premier intitulé “Le monde est petit” s’est déroulé au théâtre du Grand Marché à Saint-Denis en juin 2004 et a réuni 18 artistes de la zone. Après “Des mondes et des mots” à Madagascar, un troisième chantier “Des mondes et des rêves” est prévu “dans un pays d’Europe” en 2006. A Tananarive, Ahmed Madani a précisé qu’il s’agissait d’une “Formation atypique qui procède davantage de l’échange, du partage, de l’écoute que de l’apprentissage d’une technique particulière du jeu théâtral”.
À dimension humaine
Les comédiens ont tout d’abord travaillé sur des marionnettes, puis sur les mouvements physiques et autres expressions corporelles et gestuelles. “La conception d’une marionnette à dimension humaine à partir de matériaux locaux comme la paille, le raphia ou encore le bois, ainsi que le fait de le faire évoluer et lui donner vie était extrêmement troublant. En même temps, ça a permis de mieux comprendre le fonctionnement de notre propre corps” révèle un comédien. Les acteurs ont aussi travaillé la voix, les chants, aussi bien collectivement qu’individuellement. Chacun devait par ailleurs rédiger des textes autour de sa “propre personne” suivant le principe selon lequel il importe de “travailler sur soi avant de travailler sur l’autre”. Sans oublier les sujets que chacun souhaitait aborder. Le tout a donné “Des mondes et des mots”. Un défi relevé aux forceps lorsqu’on sait que la dernière mouture présentée au public n’a été arrêtée que deux jours avant l’heure H. En tout cas, le spectacle a fortement plu aux quelque 400 spectateurs présents qui ont offert à l’équipe une standing ovation, bien nourrie. Mais l’aventure est loin d’être terminée sachant que l’idée serait de rapprocher davantage les peuples du Sud et du Nord, “dont le rapport n’est pas fondé uniquement sur les seuls termes de l’économie de marché”. Pour Ahmed Madani et son équipe, persuadés que le théâtre est une “force de frappe considérable” : “Ces échanges artistiques se fondent sur des données incalculables, qu’on ne peut en aucun cas indexer au Dow Jones ou au CAC 40”. 
“Un pur instant de rêve éveillé”
Une gare, un public sur le quai, une locomotive qui s’avance doucement avec derrière une plate-forme de percussionnistes de Tambours Gasy et un wagon dans lequel les acteurs semblent impatients de fouler les planches installées dans le hall de la gare de Soarano. Ainsi commence “Des mondes et des mots”, restitution finale du chantier formation du CDOI à Antananarivo.
Le premier tableau est constitué d’une vaste toile recouvrant la scène et donnant l’impression d’un néant d’où surgissent des ombres. Après les silhouettes projetées depuis l’arrière-scène, et la “naissance” des mots et des sens, la toile blanche s’est élevée doucement, comme pour former le plafond de la scène ou plutôt le “ciel resté à des kilomètres de la terre”. Toujours dans cette même idée d’origine et de découverte de soi, chacun des 19 acteurs apparaît un à un, muni de leurs portraits respectifs : mélange de narcissisme et d’autocritique avec humour, omniprésent en toile de fond. D’autant que chacun s’exprime dans sa propre langue, en français, en malgache, en créole, en portugais... Après un formidable jeu de scène, chaque acteur se retrouve dans la peau du visage d’un autre, avec les chocs et autres malaises que ce changement d’identité engendrent.
Textes pertinents et épicés
La scène s’enchaîne avec une représentation du monde où chaque “national” évoque sa vision du pays dont il est originaire. On retiendra la scène de la jeune malgache qui chante une berceuse pour son pays Madagascar qu’elle considère comme “Un petit enfant que les grands emmènent où ils veulent”. Applaudissements dans la salle. L’imbroglio comoro-mahorais et autre crise d’identité mozambicaine vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale portugaise... ont été abordés avec des textes pertinents et épicés. Au delà des questions géopolitiques, d’autres pistes et d’autres “maux” de société ont également été revus et corrigés : allant du plus vieux métier du monde, au marché mondial “comparable à un énorme champs de bataille”, en passant par le complexe de l’Américain chantant à tout bout de champ “We are the champions”, avec une bouteille de Coca à la main. D’autres géants ont en pris pour leur grade, Sony, IBM, Apple, Walt Disney, Columbia... Bien d’autres sujets préoccupants comme le Sida en Afrique ou encore la misère, la faim et la soif auxquelles “même un Suisse ne peut échapper” ont également été abordés. Sans oublier le sexe et le rapport homme/ femme. Un refrain sera à retenir : “L’homme retombe toujours au même endroit : sur la femme”. C’est sur cette touche d’humour que le spectacle s’est achevé. Une représentation qui a énormément plu au public, debout, dont les applaudissements ont fait vibrer les murs de l’ancienne gare pendant de longues minutes. Ahmed Madani a promis “Un pur instant de rêve éveillé”... Chose due. Chapeau l’artiste.
Pana Reeve
La ville des mille... contrastes Antananarivo, la ville des mille soldats d’Andrianampoinimerina, premier souverain fédérateur de la Grande Île est devenue en 2005 la ville des mille contrastes. Le nombre de 4’mis (terme désignant les mendiants qui errent dans les rues de Tana depuis l’ancien régime communiste de Ratsiraka) a fortement augmenté ces derniers mois. Pas besoin d’aller loin pour les trouver. Ils sont légions sous les “arcades” longeant l’avenue de l’Indépendance. Et l’on essaie de trouver des explications. On cherche les responsables. Encore des séquelles de la colonisation, 65 ans après l’Indépendance ? Est-ce l’effet des 30 années de dictature de l’ancien régime ? Ou des conséquences de la mondialisation ? Quelle part de responsabilité pour les actuels dirigeants ? Il paraît aussi que ces 4’mis préfèrent la mendicité, au travail qu’on leur propose ailleurs... Les réponses relèvent d’une... improbable vérité. Ce thème de la pauvreté dans les pays du tiers-monde a d’ailleurs été traité dans “Des mondes et des mots”. En revanche, ceux qui ont connu Tana trois ans plus tôt se sont rendu compte que dans d’autres domaines, la situation s’est nettement améliorée. La plupart des routes, et même des ruelles pour piétons, ont été réparées et de nombreux axes ont été créés. Par ailleurs, les verrues comme à Anosibe ou à la cité des 67 hectares ont complètement disparu. Un léger mieux.

 

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